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L’Odyssée d’Homère : « Les figures antiques de la mythologie grecque parlent d’aujourd’hui »

Autrice de nombreux ouvrages jeunesse, dont les célèbres Feuilletons de La Mythologie grecque en 100 épisodes, Murielle Szac a adapté pour le jeune public le récit antique des aventures du roi Ulysse, qui tente, vingt années durant, de regagner son île natale, Ithaque, pour y retrouver sa femme et son fils, qu’il chérit. Elle revient sur l’édition de L’Odyssée d’Homère, illustrée par Catel, où elle propose une lecture nouvelle du texte fondateur, déconstruit certains clichés sur les figures homériques et révèle combien les métaphores du récit accompagnent la construction psychique de l’enfant.

Murielle Szac présente l’Odysée d’Homère
Murielle Szac présente l’Odysée d’Homère , 2023 © GrandPalaisRmnÉditions

Avant de rejoindre sa maison en Crète, « l’île rebelle des Grecs », Murielle Szac, coiffée d’une tænia rouge, nous accueille chaleureusement dans son appartement parisien au cœur d’un quartier populaire. Dès le seuil franchi, une large baie vitrée baignée de soleil invite le regard à plonger dans un écrin de verdure d’où surgit l’insolite dorure d’une icône orthodoxe. Depuis cet espace intime mêlant à la fois l’histoire ancienne et la modernité, l’autrice nous embarque aussitôt dans un voyage au cœur des mythes et de l’odyssée humaine.

« J’écris depuis des années sur les figures de la mythologie grecque, parce qu’elles sont contemporaines et qu’elles parlent d’aujourd’hui, confie Murielle Szac. Sinon, pourquoi, trois mille ans après, on raconterait toujours ces histoires ? Il y est question de migration, d’hospitalité, de respect des femmes, de familles monoparentales, du couple et aussi de l’image de l’homme dans notre société. Dans L’Iliade, par exemple, Achille est tout le temps en larmes. C’est Homère qui le raconte, pas moi ! La sensibilité est l’apanage du héros homérique, mais, au fil des siècles, c’est l’injonction faite aux hommes de ne pas pleurer qui s’est ancrée. Les figures d’Ulysse ou d’Achille ont été confisquées par une certaine réécriture masculine, pleine de testostérone.
« Heureux qui comme Ulysse… » : voilà la source d’un autre grand malentendu. Non, Ulysse n’était pas heureux de partir à la guerre. Il voulait rester chez lui, dans son royaume, avec sa femme et son fils ! Ce n’était pas un marin ; comme beaucoup d’hommes de cette époque, il avait peur de la mer. Or le héros se retrouve pendant des pages et des pages, accroché à un radeau… Ulysse est en définitive le premier naufragé en Méditerranée, avec toute la vulnérabilité et les incertitudes d’un migrant ! Il est souvent l’hôte d’étrangers, et il me semble essentiel de sensibiliser les enfants au thème de l’accueil et de l’hospitalité – si chère aux Grecs –, qui unit les hommes dans un monde violent.

Un autre personnage très moderne, sur lequel j’ai choisi de mettre l’accent dans notre édition, est la figure de Télémaque, le fils d’Ulysse, qui grandit sans son père. Quoi de plus actuel que les familles monoparentales ? Télémaque est en colère contre ce père absent, et il a le droit de l’être, même si Ulysse n’a pas choisi de partir.
Enfin, quand Calypso propose l’immortalité et la jeunesse éternelle à Ulysse, qui la refuse, qu’est-il suggéré aux enfants, sinon un questionnement sur la mort et sur le fait de grandir ? »

« Sans Pénélope, il n’y a pas d’Odyssée »
Séductrices, rusées, fidèles, dévouées, ou encore magiciennes, les femmes jouent un rôle indispensable dans l’évolution d’Ulysse. « Avec Catel, nous avons choisi d’insister sur la force des figures féminines et sur leur rôle dans ce récit fondateur. Et quand Catel dessine des femmes, elles sont puissantes ! s’amuse Murielle Szac. Sans Pénélope, il n’y a pas d’Odyssée, puisque c’est à elle qu’Ulysse raconte ses aventures, dont elle est finalement la mémoire. Si Circé transforme les hommes en porcs, pourquoi leur rend-elle leur humanité ? Ce n’est pas qu’une sorcière ! Peut-être se sont-ils mal comportés ? Et Athéna, la protectrice d’Ulysse : quelle belle figure d’intelligence, de sensibilité et de force ! Je les aime beaucoup, tous ces personnages féminins. »

Psyché
Chacune des figures, chacun des épisodes fait écho aux difficultés rencontrées par les enfants ou dont ils sont les témoins. Pour les psychanalystes, les sagas mythologiques sont au cœur de la construction psychique, car elles proposent un sens à une situation vécue. C’est sur la mythologie grecque que Sigmund Freud s’est appuyé pour comprendre certains processus inconscients : « La mythologie est une psychologie projetée », affirmait-il.
« On assiste à un retour du grand public vers les récits antiques, qui dialoguent avec l’intime de tous les enfants, quels que soient leur âge, leur expérience, l’endroit où ils vivent, leur niveau scolaire, ajoute l’autrice. Ces aventures fantastiques font travailler leur imaginaire et, même s’ils ne mettent pas tous des mots dessus, ils savent qu’elles les renvoient à eux-mêmes ! Le fait que mes Feuilletons se soient déjà vendus à plus d’un demi-million d’exemplaires est révélateur du rapport de notre société à l’Antiquité : il ne s’agit pas d’une mode, mais bien d’un véritable intérêt pour une culture fondatrice, essentielle aux enfants comme aux adultes. »

L’Odyssée est l’une des plus belles histoires dont l’humanité garde la mémoire. Ses récits métaphoriques font vivre aux enfants autant d’émotions que d’expériences éducatives.
« Aimer lire pour un enfant, c’est tout sauf de l’apprentissage, affirme Murielle Szac. La littérature, comme le montre L’Odyssée, travaille l’empathie. On est dans le symbolique, dans la magie. Si le Minotaure a été enfermé dans le labyrinthe, c’est parce qu’il était différent des autres ; il est devenu méchant parce qu’il souffrait…
À chaque étape, les récits nous invitent à la réflexion psychologique et à la discussion avec les enfants, qui peuvent se mettre à la place du héros et s’émouvoir. Aussi, s’ils arrivent à comprendre les autres, ils ne harcèleront pas leurs camarades dans la cour, ils ne se moqueront plus d’eux. C’est tout ce que nous avons besoin de cultiver en eux. »
En développant chez ses lecteurs l’empathie, la tolérance et le respect d’autrui, l’antique poème, porteur de valeurs humanistes, construit le monde de demain. Pour vivre heureux, lisons L’Odyssée !