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Une nouvelle coédition avec le musée Guimet enrichit la collection « Carte blanche », et célèbre Wang Keping, étoile de la sculpture

Cofondateur des Étoiles, collectif de l’avant-garde artistique chinoise qui résista au réalisme socialiste imposé par le Parti communiste, Wang Keping est aujourd’hui un artiste contemporain reconnu dans le monde. Réduit au silence par la censure politique dans son pays, confronté à la barrière de la langue par son exil en France, où il réside encore aujourd’hui, Wang Keping a construit son propre langage à travers la sculpture.
Le musée national des arts asiatiques – Guimet (MNAAG) lui confie sa 16e « Carte blanche » contemporaine. Nous avons rencontré l’artiste à l’occasion de l’édition du catalogue d’exposition. Pour lui, à qui les mots ont tant manqué, le livre est un trésor.

Wang Keping au musée Guimet @ GrandPalaisRmnÉditions, 2022

« Je suis un artiste chinois, mais je ne fais pas de l’art chinois »
Il y a eu un avant et un après 1979 : alors que la Chine sort tout juste de l’ère maoïste et de la Révolution culturelle, qui place l’art au service du peuple, Wang Keping, alors âgé de 30 ans, fonde avec Huang Rui et Ma Desheng le premier groupe d’avant-garde chinois dissident, Les Étoiles, qui va marquer sa propre histoire et celle de l’art en Chine.
Une exposition non autorisée, de près de 150 œuvres accrochées aux grilles du musée national des Arts, est organisée tout près de la Cité interdite. Très vite frappée d’interdiction, elle est décrochée par le régime communiste. Mais des milliers de Chinois ont eu le temps de venir la découvrir. Les Étoiles ouvrent alors la voie à l’art contemporain en Chine. À ces artistes dissidents le gouvernement de Deng Xiaoping ne laisse alors pour seule issue que l’exil.

« Moins il y a de mots pour l’exprimer, et plus forte est l’œuvre »
C’est en France que Wang Keping s’installe en 1984. Il raconte : « Les artistes chinois, comme Zao Wou-Ki, Lin Fengmian, Chu Teh-Chun, T’ang Haywen, Huang Yong Ping ou Yan Pei-Ming, ont été nombreux à s’établir en France. L’atmosphère qui y règne est évidemment bénéfique pour la création et la vie des artistes. Mais mon français était vraiment mauvais. »
Dans ce pays d’accueil, les mots lui font défaut. Pourtant, fils de l’écrivain Wang Lin, il aspirait au départ à l’écriture de pièces de théâtre et de romans… qui se sont rapidement heurtés à la censure politique ! Silence est justement le titre de la sculpture qui l’a rendu célèbre. L’œuvre, sculptée sur bois en 1978, devient une icône de la dissidence chinoise : un cri muet sort de la bouche bâillonnée d’un visage à l’œil tuméfié.
« Les artistes chinois exilés en France qui n’avaient pas le courage d’apprendre la langue française ont finalement mis toute leur énergie dans la force du langage de leur art. Moins il y a de mots pour l’exprimer, et plus forte est l’œuvre. Comme mon français était mauvais, il fallait absolument que mon langage artistique soit bon, que mes œuvres parlent pour moi et s’expriment par leur forme. »

© Aline Wang, Wang Keping Studio

Les livres, « des trésors »
Véronique Leleu, éditrice à GrandPalaisRmnÉditions, et Hugues Charreyron, responsable de la fabrication, rapportent justement l’extrême attention portée par Wang Keping à la sobriété et à la justesse des mots et des images : « Wang Keping a été présent et vigilant à toutes les étapes du travail éditorial. Les photographies des œuvres sont majoritairement issues de son studio. Très soucieux de la qualité chromatique, il a été jusqu’à demander plusieurs fois des rectifications. Pour le fond des pages de l’ouvrage, il a tenu à ce qu’il soit blanc pour mettre en valeur la simplicité des formes. Il s’est investi jusque dans les textes en les relisant et en apportant des suggestions. Malgré son succès, nous avons rencontré un artiste d’une grande humilité. À tel point, sourit Véronique Leleu, que, alors que la dernière double page de l’ouvrage présente Wang Keping photographié parmi ses œuvres sculptées et que sa propre image au centre est quasi masquée par la pliure centrale – et malgré mon insistance –, il a refusé qu’on la modifie ! »

Le livre tient en effet une place essentielle pour l’artiste : « Encore maintenant, les personnes qui n’ont pas la possibilité de visiter une exposition la perçoivent à travers les livres et le papier. Le catalogue a une autre temporalité que l’exposition. Il n’est pas restreint à un lieu et à un temps. Il circule et perdure. Aujourd’hui, la qualité d’impression des catalogues restitue fidèlement les œuvres et permet les explorations artistiques. Pour celui qui veut vraiment s’imprégner de l’œuvre, c’est le livre papier qui le lui permet le mieux : il lui laisse le temps de le regarder, de le reposer et d’y revenir.
J’ai grandi dans la maison d’un écrivain avec des ouvrages et du papier manuscrit partout. Avec la Révolution culturelle, les livres sont devenus très rares. Je les conservais comme des trésors. Il ne fallait pas les abîmer, je les protégeais avec une couverture ; je les cachais pour que personne ne les voie. Pour nous, en Chine, la découverte de l’art occidental s’est entièrement faite à travers les livres et le papier. »

Les 21 sculptures que Wang Keping présente au musée Guimet dialoguent avec les œuvres chinoises millénaires de l’établissement. Ici, pas de politique : il est juste question d’art. Les formes douces, pures et pleines que l’artiste applique avec soin à la matière organique révèlent son respect profond de la nature et de l’héritage spirituel ancestral chinois qui l’habite. Artiste arraché à sa terre natale, il retrouve ses racines profondes dans le bois.