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Le catalogue de l’exposition « Faith Ringgold » au musée Picasso-Paris « réussit à la raconter en entier, dans sa pluralité », selon l’écrivaine Tania de Montaigne

Méconnue en France, Faith Ringgold, figure d’un art engagé contre le racisme et le sexisme, est une icône américaine. Ses œuvres ont été récompensées par près de quatre-vingts prix et sont exposées dans les plus grands musées américains. Le musée national Picasso-Paris lui rend hommage en révélant, pour la toute première fois en France, un ensemble d’œuvres majeures. Il a confié à nos éditions le soin de réaliser le catalogue de l’exposition.

Tania de Montaigne © GrandPalaisRmnÉditions, 2022

À l’occasion du vernissage, Annie Dufour, qui pilote cette édition, et Isabelle Loric, responsable de fabrication, ont échangé autour de la publication avec Tania de Montaigne, journaliste, écrivaine et musicienne. L’autrice a notamment publié Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, récit consacré à cette jeune fille qui a refusé de céder sa place à une femme blanche dans un bus, neuf mois avant Rosa Parks. Faith Ringgold et Tania de Montaigne, toutes deux engagées contre le racisme et le sexisme, ont en commun l’exercice d’un art qui exprime un regard personnel sur une réalité, en la rendant visible et marquante.
Une question centrale s’est dégagée de cet échange : comment, dans un temps court, restituer, à travers une publication, l’engagement et les valeurs d’une femme contemporaine, artiste multi support, alors même que son travail n’est pas documenté en France et qu’on ne peut voir aucune de ses œuvres – peintures, sculptures, patchworks et tankas –, qui bénéficient, en revanche, d’une large exposition aux États-Unis, depuis le Moma jusqu’à l’Art Institute of Chicago ?

Tania de Montaigne. Déjà, le simple fait que l’éditeur de cet ouvrage se soit posé les questions « Qui est cette artiste ? » et « Comment, moi, je vais la raconter ? » est essentiel pour moi. Trop souvent, ceux qui font les livres sont obsédés par l’idée de reproduire des œuvres exposées sans les contextualiser. Ils pensent que, s’ils ont les images, ça suffit ! Alors que, en réalité, l’image, c’est la moitié du chemin vers l’artiste. Ce catalogue est réussi parce qu’il est un livre à part entière. Il est le support idéal pour Faith Ringgold parce qu’elle utilise à la fois le mot, l’image et le réel. Le livre permet que tout son imaginaire soit représenté. Il réussit à la raconter en entier, dans sa pluralité. J’adore que le catalogue soit aussi multidimensionnel

Annie Dufour, l’éditrice du catalogue. Nous avons en effet centré cette première publication en français sur la parole de Faith Ringgold elle-même. À côté de textes d’historiens de l’art permettant de contextualiser le travail de l’artiste et d’en montrer toute la singularité, nous avons choisi de publier trois de ses textes majeurs. Tout au long de sa vie, Faith Ringgold a écrit une quinzaine de livres pour enfants, ses mémoires, les textes inscrits sur ses célèbres patchworks, et les story quilts, qui racontent aussi des histoires. Le sommaire est enrichi par deux entretiens, dont un inédit avec sa fille, Michele Wallace. La traduction n’a pas été facile, car Faith Ringgold a une écriture particulière, très forte. Souvenons-nous qu’elle a grandi dans l’atmosphère du mouvement Harlem Renaissance – phénomène culturel africain-américain de l’entre-deux-guerres –, qu’elle a traversé toutes les luttes pour les droits civiques et que sa langue est imprégnée du langage vernaculaire propre à cette époque.

Catalogue de l’exposition Faith Ringgold © coéditions GrandPalaisRmnÉditions et Musée Picasso-Paris

Tania de Montaigne. Et son art aussi est vernaculaire ! Faith Ringgold dialogue avec le passé et le présent, embarque sa culture et parle de la vie urbaine, d’esclavage et de résistance. Les arts, les techniques, les matières, les textures qu’elle utilise sont autant de strates qui se rencontrent et se superposent. Cela m’évoque la question du métissage chez elle : elle tisse et entrecroise des univers différents. Il est rare qu’un éditeur prenne la peine de publier le récit d’un artiste ancré dans sa réalité, et je trouve ça formidable. Par exemple, Le texte Dancing at the Louvre écrit par Faith Ringgold est le récit de sa rencontre avec La Joconde à travers le personnage de Willia Marie, une artiste à Paris. C’est sa propre expérience, publiée en deux couleurs qui se répondent. C’est habile, car ce n’est que ça, l’Art : c’est un artiste qui dialogue à travers les médias que sont la photographie, la peinture, la littérature, etc., et qui livre une émotion, une histoire, sa réalité. L’outil qu’est ce catalogue arrive très bien à rendre compte de ce dialogue et à comprendre aussi son origine. L’art, c’est la transmission. Et ce n’est pas un truc qui commence avec l’artiste, ça se poursuit avec lui.

Isabelle Loric, responsable de fabrication. Le choix du papier participe à cette idée de transmission. Les graphistes, Wijntje van Rooijen et Pierre Péronnet, ont choisi un papier de type papier journal, très bouffant qui, à la base, n’est pas fait pour les livres. Cela a permis, d’abord, de proposer l’ouvrage à un prix raisonnable, malgré les hausses de coût supportées par le papier. Cela nous a permis aussi de reproduire en quadrichromie les œuvres, souvent denses, que nous n’avons pas pu voir en France et dont nous n’avons pas pu vérifier la colorimétrie, comme nous nous y attachons d’habitude. Enfin, ce type de papier donne un aspect brut, un peu handcraft à cette artiste qui travaille tous types de matériaux, y compris les plus simples.

Tania de Montaigne. Oui, c’est un papier qui n’est pas impressionnant, loin du papier glacé des coffee table books ! Le catalogue est léger ; il devient un livre souple qu’on prend sous le bras, qui partage notre intimité et qui restitue, à travers les photos d’époque et les dialogues, l’artiste dans sa globalité, puisqu’elle est une femme qui raconte un moment de sa vie à travers son art. Je trouve que l’objet lui va très bien !

Catalogue Faith Ringgold © coédition GrandPalaisRmnÉditions et le musée Picasso-Paris

Annie Dufour : Après de nombreux échanges avec Cécile Debray, présidente du musée Picasso-Paris et commissaire de l’exposition, nous souhaitions, Sophie Laporte, Claire Bonnevie et moi-même, publier un livre accessible, tant par sa forme que par son prix, et qui soit, lui aussi, engagé ! Faith Ringgold est une artiste militante dont le discours est de dire : « On a effacé les Noirs de l’histoire, mais mon art va reraconter l’histoire ; mon art est ma voix. » Elle a documenté sa vie ! Nous avons donc tenté de faire correspondre la forme et le fond dans un catalogue qui s’inscrit dans la narration populaire de Faith Ringgold. Le choix de la couverture apporte ainsi toute l’énergie de la pop des années 1960 !

 Ce catalogue exhaustif va au-delà de l’exposition en proposant bien plus d’œuvres et de textes, un sommaire différent du parcours et, en guise de bouquet final, une chronologie complète qui retrace toute la vie de l’artiste. Plus qu’un catalogue, il est la première monographie française sur Faith Ringgold. Et c’est justement ce qu’apprécie Tania de Montaigne : « Ce qui me plait aussi dans ce catalogue, c’est qu’il propose un nouveau parcours, une autre exposition où les mots percutent les images et où le lecteur a toute sa place. Le livre perpétue les œuvres de l’artiste et, en même temps, il en crée une nouvelle ».